Le vieux phono grésillait dans un coin de la chambre sombre.
L'homme chapeauté était allongé tout droit sur son lit, les mains croisées,
Le regard accroché fixement, il ne détachait pas ses yeux de ce plafond sordide.
La chanson de ses jeunes années venait égrener les secondes,
Ses soupirs réguliers puis plus distants donnaient un rythme étrange à sa poitrine étroite.
Ses yeux étaient fixes comme si plus rien ne vivait en lui et autour de lui.
Il semblait résigné, seul !
Il n'y avait plus guère que la musique nasillarde qui donnait vie à cette piéce.
Il passait ainsi la plupart de son temps à attendre que son coeur cesse de battre.
A quoi bon plus rien ne l'attendait.
Il avait vu partir un à un la plupart de ses amis, de ses parents.
Même son vieux chat n'avait pas pu survivre !
Il sentait que plus rien ne vivait autour de lui.
A travers les persiennes parfois le soleil s'infiltrait, mais il n'en sentait que si peu la chaleur !
Son corps ne semblait plus réagir à aucun sens.
Il n'entendait plus tellement bien, sa vue était incertaine, tous les goûts étaient uniformes dans sa bouche édentées...
Oui tout semblait sans vie alors pourquoi espérer ...
Il se mettait souvent à penser que même la mort ne voulait pas de lui.
Ça l'embêtait mais il voulait qu'elle vienne le prendre et non lui même se donner à elle !
Mais ce jour là, il n'imaginait pas ce qui allait se passer !
Tout d'un coup, ses yeux habituellement immobiles ont été attiré par un mouvement furtif.
Puis encore, et une troisième fois...
Alors le centenaire tenace se campa sur ses coudes.
Il alluma sa lampe de chevet.
Et d'un seul coup il a pu apercevoir une veuve noire.
Oui il y avait encore de la vie !
Alors le grand-père retrouva le sourire.
Il a ouvert ses volets, respiré bien fort l'air dont il avait tout oublié.
Il a quitté son complet triste, posé son chapeau au crêpe noir.
Il repris son chapeau de paille, sa cane au pommeau argenté...
Bien sûr ses pas étaient plus très alertes, mais son sourire était revenu.
Et la vie continuait, sans jamais plus fermer sa fenêtre.
Il a cessé d'écouter cette chanson d'un autre temps !
Mais jamais il ne prendrait le balai pour chasser cette belle veuve noire,
Celle qui lui avait fait comprendre que quelque part la vie était toujours là.
Et qu'il voulait toujours se réveiller encore le matin même si il n'était plus le beau jeune homme d'antan...
Véronique Blandin