"Chez le tailleur le plus chic ...."

29 décembre 2013

Petite-fille de tailleur, fille de tailleur, j'ai baigné dans l'odeur de la patte-mouille, de la vapeur du fer bien chaud, le bruit des ciseaux lourds sur les tissus, la craie de tailleur si particulière et douce au touché, les fils qui se collent sur nos propres vêtements...

J'ai longtemps observé les gestes précis de mon père, gestes hérités de son propre père ! Mon grand-père, mon héros, celui qui me manquera toujours mais qui reste mon ange gardien. Je sens sa présence depuis toujours.

Ce métier a tellement été présent à la maison que j'en connais le moindre secret, le moindre mouvement, la plus petite astuce. Mais voilà pour moi il aurait été tellement évident d'être le prolongement de ses deux hommes si doués et surtout bien difficile d'être à leur hauteur ! Je respecte tellement ce métier ! Il est beau ! Habiller les autres, les rendre plus beaux ... C'est un noble métier. Mais c'est aussi un métier très difficile, parfois ingrat. On ne s'épargne pas et l'on doit composer avec le caractère des clients. Le travail du tissu, contrairement à ce que l'on pense c'est pas toujours très propre, pour plein de raisons : les teintures, les poussières de tissu, les tâches et les salissures si l'on fait de la retouche (quelques anecdotes peu ragoûtantes me reviennent, je vous les épargne ici...). Physiquement le tailleur paye aussi de sa personne penché sur l'ouvrage. Le dos s'arqueboute. Les mains se déforment. Les yeux ont mal quand, à la lumière blafarde, il faut glisser ce fil si fin dans le chas si étroit... Et surtout, les poumons sont attaqués, si lentement si insidieusement ... Mon grand-père ma grand-mère ont eu les poumons desséchés et en sont morts. Ils ont surtout travaillé jusqu'au bout. Ils ont vu toute l'évolution du métier ! Mon grand-père a appris son métier dés l'âge de 9 ans. Il a commencé en 1913 un long apprentissage. Coupant le tissu avec un ciseau trop lourd pour ses doigts. Assis en tailleur sur sa table de coupe, il a piqué, bâti sans relâche... Il a aussi connu la confection de vêtements avec des tissus moins nobles pendant la guerre. Puis la réquisition des allemands pour leur faire des vestes, pantalons à la Kommandantur, une fois par semaine sinon la menace des camps de travail serait bien vite tombée sur le petit tailleur (stéréotype de ce métier, raccourci bien trop vite pris par beaucoup même encore à notre époque.).Puis après les années fastes de ce sacerdoce, voilà le règne de la confection. On achète des vêtements déjà confectionnés qui vont à tous et à personne !!! Puisque le tailleur n'est plus voilà "le retoucheur", qui fier ravale sa salive et continue malgré tout d'exercer son art. Il l'aime ce métier. Il forme des apprentis qui l'appellent "patron". Certains sont devenus des amis proches, des membres de la famille... Et pour certains âgés désormais, ils appellent encore ma grand-mère "la patronne" et le patron Gilbert ! Ils ont transmis leur savoir-faire et c'est tout à leur honneur. J'espére pouvoir leur rendre hommage et savoir le faire.

J'ai vu mon père défaire un veston de A à Z pour que ce dernier tombe bien sur le dos d'un client incrédule et peu connaisseur !

J'ai appris à voir une manche bien montée, un revers, un col. Je connais les tissus, les styles ! J'ai appris aussi à aimer les beaux vêtements, le raffinement d'une belle coupe. J'aime la mode et tous les métiers qui gravitent autour !

Oui j'aime ce métier. J'espére que mes projets pour leur rendre hommage pourrons se faire (un livre qui somnole en moi depuis longtemps et autre projet que je garde pour l'instant tellement j'ai peur qu'il ne prenne pas vie... )

Voilà une vidéo d'époque (1920 environ).