Manouchian un sage ....
Évoquer Manouchian me donne des frissons .... J'ai 13 ans quand je lis pour la première fois un livre sur "L'affiche rouge" et je me souviens de mes larmes quand je me plonge dans ce livre ...
Missak Manouchian ce poète français d'origine arménienne, est mort pour nous, fusillé le 21 février 1944 au fort du Mont-Valérien à l'âge de 37 ans ... résistant, communiste, poète avec 22 autres camarades ...
Voilà la lettre magnifique que Missak écrit à Mélinée, celle dont il est amoureux, sa femme .... c'est un véritable sage et un homme qui pour moi est important ... Merci Missak ... Le seul regret qui m'envahit c'est que nous ne savons pas, nous les nouvelles générations, prendre soin de cette liberté pour laquelle, lui et plein d'autres sont morts : La Liberté ... notre Liberté ....
Lettre suivie du poème d'Aragon : L'Affiche Rouge !
Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée,
Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être
fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m'arrive comme un accident dans ma
vie, je n'y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais.
Que puis-je t'écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps.
Je m'étais engagé dans l'Armée de Libération en soldat volontaire et je
meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous
survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis
sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront
honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je
n'ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit,
chacun aura ce qu'il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple
allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après
la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous... J'ai un regret
profond de ne t'avoir pas rendue heureuse, j'aurais bien voulu avoir un
enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier
après la guerre, sans faute, et d'avoir un enfant pour mon bonheur, et pour
accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu'un qui puisse te rendre
heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi à ta soeur
et à mes neveux. Après la guerre tu pourras faire valoir ton droit de
pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de
l'armée française de la libération.
Avec l'aide des amis qui voudront bien m'honorer, tu feras éditer mes poèmes
et mes écrits qui valent d'être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possible
à mes parents en Arménie. Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l'heure
avec le courage et la sérénité d'un homme qui a la conscience bien
tranquille, car personnellement, je n'ai fait de mal à personne et si je
l'ai fait, je l'ai fait sans haine. Aujourd'hui, il y a du soleil. C'est en
regardant le soleil et la belle nature que j'ai tant aimée que je dirai
adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis.
Je pardonne à tous ceux qui m'ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du
mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous
ont vendus. Je t'embrasse bien fort ainsi que ta sour et tous les amis qui
me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon coeur. Adieu.
Ton ami, ton camarade, ton mari.
Manouchian Michel.
P.S. J'ai quinze mille francs dans la valise de la rue de Plaisance. Si tu
peux les prendre, rends mes dettes et donne le reste à Armène. M. M.
Vous n'avez réclamé ni gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
A la fin février pour vos derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant
Louis Aragon
A noter que le père de Missak est mort en déportation en 1915 lors du génocide exercé contre les arméniens et que sa mère est morte quelques temps après, de la famine, il reste donc seul avec son frère ....
A jamais dans ma mémoire ...
Véronique Blandin