MON VIEUX PATAUD (1914)

Rouillé, perclus, courbé sur son bâton de chêne
Quand Butaud l'braconnier dur r'noucer à l'affût
Bien qu'on ne l'aimât guèr' vu son âge et sa gêne
Au bureau d'Bienfaisanc' tout d'mêm' on l'secourut
Au cabarêt, jamais on ne le voyait boire
Il passait fier, avec son chien, causant quelqu'fois
Pour dir' que : "L'assistance étant obligatoire
C'est sans hont' qu'il touchait sons s'cours au bout d'chaq' mois "
Puis il sifflait son chien : "Pfuit ! allons viens Pataud "
Et tous deux s'en allaient, le vieux parlant tout haut :

"Mon vieux Pataud, toi qu'es qu'un' bête
T'es bien meilleur que certain's gens
T'as pas deux sous d'malice en tête :
Quand tu veux mordre, on voit tes dents !
Tandis qu'les hommes bêtes à deux pattes
Sous des sourir's cachant leurs crocs
A l'instant même où ça vous flatte
Ca vous mang'rait coeur et boyaux...
Personn' nous deux Pataud, n'a pu nous humilier
Moi, j'ai jamais eu d'maître et toi t'as pas d'collier !"

Un jour comme il sortait du bureau d'Bienfaisance
Il salua Monsieur l'mair qui dit : "Bonjour Butaud
"Tiens !  c'est à toi c'chien-là ? - Oui dit l'vieux sans méfiance
Un' brav' bêt' presque aussi vieill'é qu'moi, c'pas Pataud ?
J'comprends, répondit l'Mair' c'est un ancien complice,
On' s'aim' pardi ! seul'ment, Butaud, moi j'te préviens :
Entre tes s'cours et ton cabot, faut qu'tu choisisses...
L'argent des indigents n'est pas fait pour les chiens !"
Le vieux siffla son chien : " Ffuit ! allons viens Pataud "
Puis partit sans saluer en grommelant ces mots :

" Mon vieux Pataud toi qu'es qu'un' bête
T'es bien meilleur que certain's gens...
T'as pas deux sous d'malice en tête :
Quand tu veux mordre, on voit tes dents !
Alors, faudrait qu'tu disparaisses
Parc'que nous somm's deux malheureux....
Ca s'rait mal payer tes caresses,
T'inquièt' pas, on rest'ra nous deux
Non ! j't'abandonn'rai pas Pataud, un'tell'lâcheté
Ca s'rait vraiment payer trop cher leur charité !"

Et comm' le vieux n'voulait en faire qu'à sa tête,
On résolut d'comprendr' mieux qu'lui ses intérêts...
Un soir donc, lâchement on tira sur la bête
Qui tout'sanglant, revint s'étendre auprès des ch'nets.
Alors le vieux Butaud saisit sa cartouchière
Il arma son fusil en grondant : "Assassins !'
Mais Pataud fit entendre une plainte légère
Et le vieux, en pleurant, se pencha sur son chien
Et comm'la bêt' semblait lui dire : "Achève-moi !"
Le bonhomme à genoux fit un signe de croix.

"Mon vieux Pataud, nous somm's trop bêtes
Pour comprend' quéqu'chose à la loi...
Finissons-en,, la charge est prête,
Un coup pour toi un coup pour moi !
Pataud, on va partir ensemble
Au pays d'où qu'personn' ne r'vient...
Ah nom de Dieu tout d'mêm' j'en tremble
" Pardonn' moi Pataud... tiens-toi bien !"
Et c'est comm'ça qu'l'on vit doucement dans les cieux,
Monter l'âme d'un chien avec l'âme d'un gueux !

Chanson interprétée par Berthe Sylva
Paroles de Raoul Peltier
Musique de A. Valsien

Cette chanson c'est toute mon enfance, mon père m'a fait découvrir d'abord Berthe Sylva et surtout cette chanson (et aussi Les Roses Blanches)... Elle est magnifique et Berthe Sylva avait une gouaille et était une interpréte forte et pleine d'expressions qui désormais n'est plus tellement connu par les jeunes générations, dommage!!

Véronique Blandin